Guitare sur scène et escabeau solitaire,
Voilà bien le décor planté qui se resserre
Autour d’un vieil homme chapeauté de mystère
Et aux pieds nus dans ses galoches de galères.
Papiers dépliés, repliés, dans pardessus,
Il a l’air misérable, sans rien de cossu.
Se tordant les doigts, quand il évoque son père,
C’est sur son mariage raté qu’il vitupère.
Mais quel «lien» peut-il être «entre ces deux affaires» ?
Affublé de tics de grattage héréditaire,
Se complaît en allées-venues au cimetière
Où il monologue et, sur sa vie, déblatère.
Visage rieur, et rajeuni par son conte,
D’emblée il s’attaque aux souvenirs qu’il raconte ;
Très expressif ; ses descriptions cadavériques
Le revêtent d’un aspect sobre et véridique.
Écrit bien travaillé dans un humus, matière
A faire coexister la mort et la terre.
Pris en otage dès le début de l’histoire,
On reste captivés, même sans le vouloir.
«Invitation au voyage intérieur», poussière
D’existence autour du deuil, noir mis en lumière.
Texte, tout compte fait, virulemment joyeux,
De main de Maître sur un suaire soyeux.
Obligé de quitter la maison et sa serre,
Son cœur, à cette perte de chaleur, se serre.
«Tout s’embrouille dans (sa) tête» parasitée
Par son «imagination» à ressusciter
Tout un passé incertain d’avoir existé
Mais dont les vives «douleurs» l’ont persécuté.
Et «les instants où, sans être drogué, ni saoul»,
«Ni en extase, on ne sent rien», mais rien du tout,
Laissent dans un état second de flottement
Où la parole libère son grondement.
«Parlerai de choses qui n’ont jamais existé»,
Auxquelles la poésie permet de subsister.
Une introspection, avec talent, régurgitée
Par un esprit tumultueusement agité.
Récit qui nécessite une profonde attention
Pour suivre les méandres de ses contradictions
Qui font tout le charme de cette âme torturée
Plus proche des disparus que des vivants murés.
Écriture d’une fausse naïveté
Qui laisse toute ouverture aux ambiguïtés.
Être avec quelqu’un et avoir la liberté
De penser à autre chose en intimité ;
Effacer sa présence afin de végéter
Dans ses réflexions couvertes d’incertitude
Où l’autre n’apparaît plus que par habitude.
C’est une ample confession, drôle et émouvante
Qui, à la fois, enchante autant qu’elle épouvante.
Absurde discours de génie qui toujours tente
De saisir au bond le raisonnement d’attente.
«Peur de partir» et de l’abandon en froideur
Dans un fracassement qui se teinte d’horreur.
C’est dans le théâtre «La Croisée des Chemins»
Que, seul, il affronte son terrible destin.
Des pages riches d’un cri déchirant, sans frein,
Qui brûle la peau d’une blessure sans fin.
Béatrice Chaland / b.c.lerideaurouge
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«Premier Amour». De Samuel Beckett. Interprétation Jean Michel. Mise en scène Jean-Pierre Ruiz. Musique en direct Roland Gomes. Par la compagnie «Théâtre Vol de Nuit». (Captation vidéo vue le 27-09-2021, 21h00)★★★
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Sep